Chapitre 3
Découvrez ce qu'est une cryptomonnaie, comment ça marche, quels sont les différents types de cryptoactifs et pourquoi c'est une révolution dans l'histoire de l'argent.
10 minutes|Pascal Hügli|Publié le 18.02.2021|Mis à jour le 13.06.2024
Une cryptomonnaie est une forme d'argent numérique qui utilise des technologies cryptographiques pour permettre de transférer de la valeur de façon décentralisée et sans tiers de confiance, tout en empêchant la double-dépense.
Créées comme alternatives à la monnaie fiduciaire, les cryptomonnaies permettent à n'importe qui de détenir de façon indépendante une forme nativement numérique d'argent que personne ne puisse saisir ou bloquer, et qui puisse être librement transférable sans intermédiaire.
Dans cet article, nous reprenons là où nous nous sommes arrêtés dans la brève histoire de l'argent que nous avons faite dans le chapitre précédent.
Dans l'évolution constante de l'argent, le Bitcoin est le dernier volet de cette longue histoire. Plus qu'une itération, nous pouvons dire qu'il marque le début d'un chapitre à part entière. Avec lui, une nouvelle ère a vu le jour : pour la première fois de l'histoire, nous avons un véritable argent numérique.
Les moyens de paiement actuels tels que les virements bancaires, les cartes de débit / crédit, l'e-cash ou encore les apps mobiles comme Twint ou Lydia sont considérés comme numériques. Pourtant, avec l'avènement du Bitcoin et des cryptomonnaies, cette définition n'est plus vraiment juste. En fait, il serait plus correct de parler d'argent et de paiements électroniques pour ces outils traditionnels.
Le Bitcoin permettant d'échanger de la valeur sur Internet, on pourrait aussi croire qu'il s'agit juste d'argent électronique. Pourtant, en y regardant de plus près on remarque que le Bitcoin a des points communs avec l'argent cash et qu'une transaction en crypto est fondamentalement différente d'un transfert d'argent électronique.
Les principales devises d'aujourd'hui - le dollar américain, l'euro ou le franc suisse, opèrent essentiellement sous forme d'argent électronique. De plus en plus de consommateurs paient en effet de façon électronique pour acheter des produits et des services, que ce soit par carte, par transfert, par Google Play / Apple pay ou par PayPal. Ces façons de faire des transactions financières sont évidemment extrêmement efficaces et pratiques.
Mais comme nous l'avons dit dans le chapitre précédent, il ne faut pas oublier un point fondamental : chaque paiement électronique est inscrit dans une base de données contrôlée de façon centralisée. Toute activité financière est donc surveillée par des intermédiaires et peut en théorie être bloquée, déclinée ou confisquée.
C'est la différence principale entre une monnaie électronique et une cryptomonnaie. Cette dernière représente un instrument au porteur véritablement numérique. Ce terme un peu archaïque décrit un actif qui peut être pleinement possédé par son propriétaire. C'est le cas pour de l'argent liquide (les pièces et les billets) par exemple, lorsqu'un billet est dans votre poche il est pleinement à vous, personne d'autre ne le possède et personne ne peut vous le confisquer. En revanche, ce n'est pas le cas de l'argent qui est sur votre compte bancaire. Lorsque vous déposez de l'argent à la banque, celui-ci appartient à la banque qui a ensuite une dette envers vous. Le problème, c'est qu'on peut faire défaut sur une dette et que votre argent peut ainsi disparaître si votre banque fait faillite. C'est ce qui s'est passé lors de la crise financière de 2007-2008, et c'est pourquoi nous travaillons à la création d'une institution « full reserve », mais c'est un autre sujet.
Comparée à des dépôts bancaires ou à de l'argent sur une appli mobile, qui sont basés sur des comptes qui résident dans le registre d'une autorité centralisée, une cryptomonnaie est basée sur des jetons ("tokens") qui représentent un actif en lui-même, sans être une créance envers qui que ce soit.
Cette caractéristique cruciale a été rendue possible avec le Bitcoin, qui a été la première solution mise en pratique au problème qui empêchait jusqu'alors à de l'argent véritablement numérique d'exister : le problème de double dépense.
Malgré l'apparition des technologies numériques, il n'y avait encore jamais vraiment eu de façon de s'assurer que de l'agent numérique ne puisse pas être dépensé deux fois (double dépense), à moins qu'une autorité centralisée n'intervienne pour vérifier et confirmer que cela ne soit pas le cas. Sans résoudre ce problème de double dépense, de l'argent véritablement numérique ne pouvais pas être possible puisqu'il n'y avait aucune garantie que des unités ne puissent être copiées à volonté, ce qui entrainerait évidemment une inflation hors de contrôle de sa masse.
Avec le Bitcoin, son/ses créateur(s) Satoshi Nakamoto a/ont réussi à lancer un réseau virtuel prenant la forme d'un système économique régi par une structure d'incitations finement calibrée. Les unités de ce système sont purement numériques. Bien qu'elles soient complètement abstraites, elles ne peuvent pas être falsifiées ou copiées à volonté.
Cette prouesse technique constitute une révolution et son impact peut être comparé à la découverte de l'imprimerie, mais avec un effet opposé.
L'imprimerie, l'argent papier puis enfin les bases de données numériques ont pavé l'incroyable épopée du capitalisme que nous connaissons. Avec la prolifération de nouvelles formes d'argent et autres substituts, les richesses économiques et matérielles ont été accumulées comme jamais auparavant.
La croissance exponentielle de l'argent qui a suivi son détachement d'un matériau rare comme l'or s'est avérée être à la fois une bénédiction et une malédiction. La tentation quasi-faustienne de créer de l'agent à partir de rien à laquelle l'humanité a succombé a permis une expansion continue du crédit, ce qui a amené la société vers des sommets de richesses.
Cependant, le revers de la pièce (sans mauvais jeu de mot) a produit des vagues de volatilité artificielle sans précédent, causées par des cycles de crédit alternant expansion et contraction qui ont créé des bulles et crises financières à répétition ces dernières décennies. Ces crises ont fait réaliser à certains que nous avions peut-être abusé des bienfaits de l'imprimerie et des formes d'argent qu'elle a permis.
La rareté numérique irréfutable du Bitcoin pourrait bien être le chainon manquant dont le monde monétaire actuel a besoin. Avec l'invention du Bitcoin, nous avons une nouvelle forme d'argent qui reste abstraite, numérique, extensible et programmable, tout en conservant la rareté absolue d'un bien physique comme l'or.
Le Bitcoin est une façon de dompter les révolutions permises par l'imprimerie, sans pour autant les défaire.
Le Bitcoin est à l'origine de toutes les autres cryptomonnaies actuelles. Cependant, le terme « cryptomonnaie » est en fait assez ambigu et ne rend pas justice aux formes et fonctions variées que toutes les nouvelles technologies de cryptographies permettent. Un bien meilleur terme pour décrire de façon globale ce phénomène et ses nombreuses représentations est « cryptoactif ».
Les différents types de cryptoactifs
Un cryptoactif est avant tout une valeur cryptographique qui peut être possédée de façon entièrement indépendante et qui réside sur un réseau blockchain public. Bien que le Bitcoin puisse être et soit utilisé comme moyen de paiement, à ce stade de sa vie le Bitcoin est bien plus recherché pour la fonction de réserve de valeur qu'il procure.
Vivant ce qu'on appelle une monétisation continue (« ongoing monetization event »), le Bitcoin essaie de se positionner comme actif de réserve global. Son prix subissant des pics de volatilité majeurs comme vous l'avez probablement remarqué, sa fonction comme moyen de paiement n'est donc pas sa caractéristique déterminante à l'heure actuelle. Il se peut que cela change un jour, si la phase de monétisation du Bitcoin prend fin et que son prix se stabilise en conséquence.
Le bitcoin (écrit avec un « b » minuscule) est l'unité pour utiliser le réseau Bitcoin (écrit avec un « B » majuscule). Dans le cas de l'ether – le 2ème plus grand cryptoactif à ce jour, sa fonction d'utilité du réseau Ethereum est bien différente.
Ethereum étant conçu avec de nombreuses fonctionnalités de « smart contracts » (des contrats programmables et automatisables), ses possibilités d'expression sont plus grandes. En conséquence, Ethereum est en général décrit comme une plateforme de smart contracts, l'ether étant le cryptoactif requis pour utiliser cet écosystème de smart contracts. Il existe bien entendu d'autres plateformes de smart contracts avec leur propre cryptoactif servant de jeton natif, mais nous aborderons tout ça plus en détail dans un chapitre dédié.
Les stablecoins sont une autre grande catégorie de cryptoactifs que l'on retrouve sous le terme « cryptomonnaie ». Ces tokens tels que l'USDT, l'USDC ou le DAI sont bien plus proches de ce que l'on pourrait considérer comme des devises de paiement, étant donné que leur cours est fixé 1:1 à une devise fiat (le dollar américain dans ces trois cas) et qu'ils ont été conçus dans le but de pouvoir facilement sortir et entrer d'un cryptoactif volatile. D'autres cryptoactifs tels que Bitcoin Cash tentent également de faire en sorte que leur infrastructure blockchain soit utilisée comme une vraie devise, facilitant ainsi les paiements.
La confidentialité est une des caractéristiques déterminantes des cryptoactifs, mais celle-ci peut avoir plusieurs degrés. Bitcoin et Ethereum sont des réseaux pseudonymes (et non anonymes), tandis que ce qu'on appelle les « privacy coins » sont des cryptoactifs se focalisant sur des fonctions d'anonymat. Les transactions effectuées sur leurs réseaux sont complètement anonymes, leur registre étant masqués par des techniques cryptographiques. Avec Bitcoin, cet anonymat peut aussi être obtenu par des moyens « off-chain », tandis que les privacy coins comme Monero ou Zcash intègrent l'anonymat dans leur réseau blockchain en lui-même.
Enfin, les actifs tokénisés ou « asset tokens » sont des cryptoactifs qui représentent un droit à quelque chose. Ce quelque chose peut prendre de nombreuses formes. Pour des droits sur des choses tangibles ou intangibles du monde réel, ces cryptoactifs sont communément appelés « security tokens » ou jetons d'investissement : actions, obligations, métaux précieux, art ou encore immobilier sont des exemples d'actifs traditionnels pouvant être représentés sur une blockchain. Un token représentant un actif du monde réel peut être vu comme son double numérique.
Des cryptoactifs fournissant des droits ne provenant pas nativement du monde réel sont typiquement ce qu'on appelle des « governance tokens », qui fournissent par exemple des droits de vote pour participer au processus de prise de décision d'une plateforme décentralisée. C'est le cas de la vaste majorité des tokens DeFi aujourd'hui, tels qu'Uniswap ou Aave.
On peut aussi mentionner les « non-fungible tokens » (NFTs) dans cette catégorie, une forme récente de cryptoactifs dont les unités ne sont pas interchangeables (chaque token est unique) et qui représentent la propriété d'un actif réel (des objets d'art ou de collection typiquement) ou d'un actif nativement numérique (art crypto, tokens à collectionner, etc.).
Pour terminer ce deuxième chapitre de notre série d'introduction au monde crypto, prenons le temps de détailler pourquoi les cryptoactifs constituent une nouveauté positive pour le monde financier en général.
Parce que la rareté du Bitcoin est absolue, son but en tant que cryptoactif est de fournir une protection solide contre l'expansion continue actuelle du crédit et les politiques monétaires agressives. C'est une couverture contre l'inflation par excellence.
L'intérêt de cette protection va de pair avec les caractéristiques de résistance à la censure et la saisie du Bitcoin et des cryptomonnaies en général. Parce qu'il s'est développé sous la forme d'un réseau géographiquement décentralisé avec des milliers de participants, il est en effet pratiquement impossible pour un attaquant potentiel de bloquer ou falsifier une transaction. En conséquence, de la valeur peut être librement transférée avec certitude en tout temps, depuis n'importe où et à n'importe qui.
Étant donné que le Bitcoin et les autres cryptomonnaies peuvent être pleinement possédés au travers de la détention de ses propres clés privées, saisir un actif devient en effet particulièrement compliqué.
Détenir de la valeur sans avoir besoin d'une institution est révolutionnaire, puisque cela permet précisément de s'affranchir du contrôle qu'elle peut exercer sur cette valeur.
Parce qu'un cryptoactif fonctionne sans permission, y accéder et en sortir est donc possible en tout temps et par n'importe qui. Les technologies cryptographiques derrière les cryptomonnaies ne s'intéressent pas à qui vous êtes, mais à ce que vous possédez. Une signature digitale est tout ce dont vous avez besoin pour posséder et transférer un cryptoactif.
Dans un monde où la confidentialité financière est constamment érodée et que les solutions bancaires offshore sont combattues avec véhémence, la nouvelle alternative qu'offre un cryptoactif pour obtenir plus de contrôle et de confidentialité financière devrait être bienvenue, le choix et la concurrence étant généralement de bonnes choses bénéficiant aux utilisateurs et aux consommateurs.
Ce qui est aussi séduisant avec les cryptomonnaies, c'est le fait qu'elles représentent également une forme de contestation pacifique. Les cryptoactifs et leurs réseaux ne se construisent pas aux dépens d'autre chose. Ils offrent simplement un autre système, meilleur, plus rapide, plus fiable et plus transparent. Comparés aux systèmes traditionnels, ils offrent une meilleure interopérabilité globale et une évolutivité sociale plus grande par design.
Mais le Bitcoin et les cryptoactifs ne représentent pas seulement un pari asymétrique contre le système actuel. Ils sont de l'argent programmable, qui ouvre la porte à de vastes possibilités d'innovation sans précédent, un sujet que nous aborderons également dans un autre chapitre.
Quand vous shortez le marché des obligations ou détenez de l'or en guise de refuge, vous pariez en réalité sur les faiblesses de l'homme et non sur son ingéniosité. Bitcoin en revanche est le seul actif fournissant un refuge tout en vous exposant à ce que l'humain peut faire de mieux.
Malgré tous les aspects positifs et constructifs du Bitcoin et des cryptoactifs, il est évidemment important de garder en tête que l'écosystème crypto est encore très loin d'être parfait.
Tout ce qu'il offre est une alternative : un système monétaire basé sur une forme d'argent nativement numérique, non-dilutive et non-politisée. À partir de là, il offre un système financier nouveau amenant de vastes possibilités que personne n'aurait cru possibles encore quelques années en arrière.
Dans le prochain chapitre, nous vous présenterons plus en détail comment fonctionne une blockchain, la technologie sous-jacente de ces cryptoactifs et de la révolution financière qu'ils amènent.
À propos de l'auteur
Pascal est conférencier et modérateur à la Haute École d'économie de Zürich (HWZ). Il conseille aussi la banque Maerki Baumann en qualité de gestionnaire d'investissement en crypto-actifs. Il est aussi analyste pour la newsletter en allemand Insight DeFi, pour laquelle il écrit du contenu qualitatif et succinct à destination du grand public sur les événements et opportunités du monde décentralisé de Bitcoin et des cryptos. Il est également l'auteur du livre Ignore at your own risk: The new decentralized world of Bitcoin and blockchain.
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